Séminaire du CET : Conférence de Nicolas Quint

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Traduire le Petit Prince dans des langues minoritaires ou minorisées : un retour d’expérience

7 novembre 2022

 Depuis 2013, au sein de différents projets, j’ai participé en tant que traducteur, éditeur, relecteur ou chef de projet à la préparation d’environ trente traductions différentes du Petit Prince de Saint-Exupéry dans des langues minoritaires ou minorisées appartenant à différentes familles linguistiques : Niger-Congo (wolof (Sénégal) et koalib (Soudan)), créoles afro-portugais (capverdien et casamançais) et au moins vingt-cinq parlers gallo-romans du Croissant (Alloue, Archignat, Azérables, Beaune d’Allier, La Celle-Dunoise, Châtel-Montagne, La Châtre-Langlin, Crozant, Éguzon-Chantôme, Fursac, Genouillac, Lourdoueix-Saint-Michel, Naves, Mortroux, Noth, Nouzerines, Pleuville, Saint-Front & Valence, Saint-Pierre-le-Bost, Saint-Plantaire, Saint-Sébastien, Sainte-Colombe, Toulx-Sainte-Croix…). Plus d’une vingtaine de ces traductions (langues Niger-Congo, créoles, ainsi que 18 parlers croissantins) sont d’ores et déjà publiées et plusieurs autres versions du Croissant sont sur le point de sortir tandis que d’autres sont encore en cours de préparation.

Cette expérience appelle un certain nombre de réflexions sur le sens et la portée de ces projets, réflexions que je propose de partager dans le cadre de cette présentation. Tout d’abord, dans une première partie, je soulignerai la valeur symbolique toute particulière du Petit Prince, œuvre littéraire la plus traduite au monde à ce jour après la Bible et objet de fascination d’une communauté active et passionnée de collectionneurs. Puis, dans une seconde partie, j’évoquerai l’aspect technique de la traduction. Dans des communautés linguistiques où le répertoire écrit disponible est réduit voire inexistant, où les références culturelles et sociales sont éloignées de la langue et des codes de l’original, on est contraint de s’adapter, tant en ce qui concerne le fond (quid de la monarchie absolue dans une communauté villageoise) que la forme (stylistiquement, certains passages du Petit Prince relèvent très nettement du registre écrit et ne sont pas aisément transposables dans une langue attestée surtout – voire exclusivement - à l’oral). Dans une troisième partie, je traiterai enfin des enjeux sociaux et symboliques associés à la traduction d’une œuvre littéraire dans des communautés linguistiques dont l’idiome traditionnel est généralement pratiqué dans une situation de diglossie, l’appareil d’État et le système scolaire utilisant habituellement d’autres langues que celles desdites communautés. Qui seront les lecteurs de la traduction préparée ? Que représente cette entreprise pour les locuteurs et en quoi la parution du Petit Prince changera-t-elle quelque chose dans leur rapport à la langue ? J’insisterai notamment, en guise de conclusion, sur l’intérêt linguistique et patrimonial que revêt la traduction d’une œuvre littéraire reconnue dans une langue en manque de reconnaissance.

Nicolas Quint est directeur de recherche en sciences du langage au LLACAN-UMR8135 (CNRS/EPHE/INALCO, Paris, France). Il se consacre principalement à l'étude et à la description de langues appartenant aux trois groupes suivants : créoles afro-portugais (créoles capverdiens, casamançais et bissao-guinéens, ainsi que le papiamento), Niger-Congo (kordofanien et baïnouck) et roman (principalement occitan). Il a été impliqué en tant que cotraducteur, éditeur scientifique ou relecteur dans une trentaine de traductions différentes du Petit Prince vers ses langues de spécialité.

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