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Journée d’études 

« Traduire la langue philosophique »

 

Programme

 

Journée d’études 

 

« Traduire la langue philosophique »

 

14 juin 2024

 

Université Paris Cité

Bâtiment Grands Moulins, Aile C

Salle Léon Vandermeerch (481C)

 

 

 

Programme

 

 

9h30    Marc de Launay, Le « truc » de Socrate

 

Depuis ses débuts, la philosophie se heurte à la manière de traiter du langage : dès le premier traité consacré à ce problème, le Craille de Platon, la tradition philosophique se développe dans une sorte de hantise du langage, et l’évitement permanent de se confronter à la question taraudante des rapports entre pensée et langage où le rôle de la traduction est d’emblée décisif. La traduction est ainsi d’emblée le problème philosophique que la philosophie voudrait pouvoir résoudre sans reconnaître l’ampleur de sa dépendance.

 

 

10h30  Michèle Leclerc-Olive & Xavier Riu, Traduire les philosophes grecs classiques. De la mimésis chez Platon et Aristote

 

Alors que la traduction de eikos laisse aujourd’hui de nombreux philosophes dans l’embarras, la traduction de mimésis paraît à l’inverse obéir à deux choix que Ricœur ne distingue pas toujours clairement : entre imitation (Platon) et représentation (Aristote) il y a en fait, nous semble-t-il, deux postures philosophiques qu’il est difficile de confondre aujourd’hui, en ce temps où la pensée est dominée par une conception probabiliste de l’incertain.

 

 

11h30  Florence Zhang, Intertextualité ou allusion philosophique : traduire la langue cachée

 

Si Montaigne se révoltait déjà de l’ « entreglose » comme langage philosophique de son temps, il n’est pas difficile d’imaginer la traduction de textes philosophiques comme une entreprise de déminage : non seulement détecter les concepts opératoires connus et visibles, mais aussi fouiller des termes et expressions implicites, et déterrer des racines presque décomposées. Or, ce travail de déminage n’est qu’une étape de préparation, reste à refaire le terrain – recontextualiser, et à reconstituer l’argumentation.   

 

Pause

 

 

14h      Sawada Nao, Traduire un texte philosophique : concept, image, idéogramme et onomatopée

 

Dans cette intervention, nous voudrions réfléchir sur les causes épistémologiques et linguistiques des difficultés que les traducteurs rencontrent face à certains textes philosophiques. Nous prenons comme point de départ Matière et mémoire, l'un des principaux ouvrages de Henri Bergson dont il existe huit versions en japonais, sans qu’aucune ne soit qualifiée de définitive. Cette situation est si profondément liée à la nature de l'écriture de Bergson que l’on ne parvient pas à trouver les termes définitifs en japonais de mots clés tels que « mémoire » ou « souvenir ». Quant au mot « image », il n'est pas traduit mais seulement transcrit phonétiquement. D’où vient cette difficulté pour des termes qui semblent pourtant si simples ? En prenant cet exemple comme point de départ, et en analysant également le cas de L'Imaginaire de Sartre, que nous avons traduit en japonais, nous tâchons d’examiner le rapport entre concept, image, idéogramme et « onomatopée ». A travers cette démarche, nous envisageons la question de « l’ancrage des symboles » dans le texte philosophique.

 

 

15h      Keling Wei, Jacques Derrida en chinois ou le trait de la traduction

 

Dans sa réflexion sur l’écriture, Derrida fait référence à la langue chinoise - langue dite idéographique - pour illustrer la puissance inscriptive, minant, dès l’origine, le logo-phono-centrisme de la métaphysique occidentale. Et si Derrida a prononcé, lors de sa visite en Chine en 2001, cette phrase provoquant scandale et malentendu, « il n’y a pas de philosophie en Chine », ladite « philosophie » n’est qu’un autre mot pour désigner la tradition gréco-latine et onto-logique de la pensée occidentale, incarnée dans les langues alphabétiques. En revanche, la langue chinoise porte le graphein originaire, la trace d’archi-écriture, radicalement autre que tout ce que pourrait comporter le concept de « philosophie ». 

 

Dès lors, pour Derrida, l’acte de philosopher n’a jamais cessé d’être un acte contre la langue française tout en restant dans cette unique langue qui l’habite. Son « monolinguisme de l’autre ». Dès lors on comprend son attention et son intérêt particulier pour la traduction - trajet, translation, transfer, transport -, laquelle n’est autre que le mouvement toujours recommencé de l’itérabilité, de la trace, de la différance à l’œuvre. Du trait. 

 

Car il s’agit bien du trait, dans tous les sens : fait de tirer, flèche lancée, ligne tracée, au croisement des « deux généalogies hétérogènes » de Ziehen et de Reissen, c’est-à-dire « tirer » et « déchirer ». Il y a aussi du retrait : effacement et répétition du trait. En chinois, nous proposons de traduire « ce mot pluriel de trait » par 笔划(bihua) : mouvement du pinceau, de la plume, du dessin, tracé de l’écriture, mais aussi, tel un couteau, ce qui incise, marque, ouvre l’espace graphique. La traduction en général, et singulièrement en chinois, s’opère en tant que trait : trait traductible, scriptural, supplémentaire, « trait de l’entame », frayant la voie à la réécriture infinie de « l’original ».     

 

 

16h      Jonathan Egid, Comment la philosophie apprend-elle à parler une nouvelle langue ?

 

Comment la philosophie apprend-elle à parler une nouvelle langue ? Autrement dit, comment une langue particulière devient-elle le moyen d'expression des idées philosophiques ? Je vais explorer ces questions en accumulant des exemples de différentes époques et aires culturels : deux d'Europe et deux d'Afrique, en commençant par l’Angleterre de l’ère d’Élisabeth I et les « débats des encriers », avant de me tourner vers la tentative de Cicéron de « vêtir la Dame Philosophie de l'attirail romain », puis vers l'héritage du grec et de l'arabe dans les empires éthiopien et malien. Je soutiens que la philosophie apprend à parler une nouvelle langue en se traduisant elle-même, et que la traduction philosophique entre des langues très différentes est particulièrement importante pour les philosophes contemporains dans la mesure où elle a) nous fournit de nouvelles ressources conceptuelles b) révèle les présupposés linguistiques des théories philosophiques exprimées dans une langue particulière, ce qui est significatif dans le contexte d'un monolinguisme croissant en philosophie.

 

17h      Table ronde et discussions

 

 

 

Coordination : Florence Zhang (LCAO/CRCAO)

 

Comité d’organisation : Anne Bayard-Sakai (INALCO/IFRAE), Nicolas Froeliger (EILA/CLLILAC), Elise Pestre (IHSS/Études psychanalytiques), Justin Smith (IHSS/Sphere)

 

 

 

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