Décès de notre collègue interprète Joseph Umansky
Traducteurs, traductologues, compagnons de route, nous avons besoin de placer dans une forme de continuité par rapport à ceux qui, depuis que le monde est monde, nous ont précédés - et qui ont contribué à façonner la profession et la discipline qui vise à conscientiser cette dernière. C'est la raison pour laquelle il me paraît important de relayer la nécrologie rédigée par Christopher Thiéry, que tous les interprètes parmi vous connaissent, au sujet de Joseph Umansky, interprète français-allemand-anglais-russe et président d'honneur de l'association Danica Seleskovitch, disparu en tout début de ce mois à l'âge de 100 ans.
Respect,
Nicolas Froeliger
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Jojo,
comme nous étions quelques-uns à l’appeler, est mort, le 1er avril. Et ce n’est pas une de ces blagues dont il était friand. Il avait cent ans – belle performance, quand même !
Beaucoup l’ont connu interprète à l’OCDE, puis chef interprète, ou encore trésorier, puis vice-président de l’AIIC.
Moi, je l’ai rencontré en mai 1949, quand j’ai débarqué à l’OECE (ancêtre de l’OCDE). Il faisait partie, avec Maurice Poujade, Éliane Arnaud et Jacqueline Domergue de la première promotion de l’école d’interprètes de HEC, qui avaient été engagés par Constantin Andronikof en 1948 avant même l’examen du diplôme. Ils étaient donc les plus jeunes des «anciens » de l’OECE, et étaient pleins de sollicitude pour le bleu juvénile que j’étais.
Et puis en 1953, nous nous sommes lancés à trois, avec Philip Webster, ingénieur du son de l’OTAN, dans la création de la Société Internationale d’Interprétation Simultanée (SIIS), nom ronflant d’une minuscule SARL de location de matériel volant pour conférences, avec cabines et récepteurs radio incorporant les tout premiers transistors.
Notre principal concurrent était… IBM ! Avec des récepteurs à lampe que les délégués accrochaient autour du cou. Le père de Joseph était directeur du cinéma Le Paris, au 23 avenue des Champs Élysées, aujourd’hui disparu. Mais il nous avait autorisés à enregistrer le siège de la SARL au cinéma, dont l’adresse prestigieuse a beaucoup aidé au démarrage. Pendant sept ans la SIIS a sillonné l’Europe, de Lisbonne à Istanbul, en passant par Paris et Bruxelles. Au sein du trio, Joseph était le sage, qui nous rappelait à certaines réalités ! J’ajoute que l’on nous demandait aussi parfois de recruter l’équipe d’interprètes. Il nous est vite apparu que c’était possible, à condition de séparer totalement l’activité commerciale de fourniture du matériel, et la constitution de l’équipe.
Nous avons mis au point un premier contrat, nous chargeant de la constitution de l’équipe, qui prévoyait la signature par le client des lettres d’engagement individuelles, établissant ainsi le contrat direct. C’est d’ailleurs notre lettre d’engagement qui a servi de modèle à celle de l’AIIC, et à l’article du Code sur le contrat direct.
C’est Éliane Arnaud, devenue Éliane Umansky, qui m’a parlé de la guerre et de la rafle du Vel d’Hiv – Joseph n’en parlait jamais, ni de ses activités dans la Résistance, ni de sa croix de guerre – dont j’ai appris l’existence dans le faire-part du Monde. C’est elle qui m’a fait remarquer qu’il avait parfois un geste de la main qui semblait balayer quelque chose devant ses yeux. C’était le souvenir du jour où sa mère et sa sœur avaient été arrêtées par la police française et envoyées à la mort. Il était sorti avec son père, et en revenant la concierge s’était postée dans la rue pour leur dire de ne pas rentrer…
Nous sommes nombreux à avoir perdu un ami. Nous avons tous perdu un pionnier de l’AIIC, et un homme dont la modestie a occulté le rôle qu’il a joué dans les heures sombres de la guerre.
Salut, Jojo !
Christopher Thiéry, membre fondateur et Président d'honneur de l'AIIC.